A - Le règne végétal


Les odeurs dans le règne végétal

Les végétaux produisent des odeurs

          
          Contrairement aux idées reçues, un végétal est un être vivant à part entière, au même titre qu’un animal, ou un humain. Cependant, si, de nos jours, la plupart des caractéristiques des plantes sont connues (leur utilisation médicale, les fruits qu’elles produisent, les différentes espèces de fleurs), il en est une qui reste plus obscure, et pourtant qui est l’une des plus connues, et sans doute la plus appréciée : l’odeur des végétaux. Chacun d’entre nous aura profité de la douceur du parfum d’une rose, de la fraicheur de l’odeur de la menthe, du bien-être que procure l’odeur du sapin. Et même si ces odeurs sont connues de tous, leur origine est très peu abordée. Comment les plantes produisent-elles des odeurs ? Où et par quels organes sont-elles créées ?


I - Les odeurs végétales 
 
          L’une des premières choses à savoir est que, une fois encore, contrairement aux idées reçues, ce n’est pas que la fleur d’une plante, qui produit son "parfum" à travers les étamines, qui produit des substances odorantes, propres à chaque espèce. En effet, toutes les parties des plantes aromatiques, tous leurs organes végétaux, peuvent contenir de l'huile essentielle, et donc produire un parfum. Par exemple, les huiles essentielles d’eucalyptus, de menthe, de thym, de laurier, de sarriette, de sauge et d’aiguilles de pin et sapin sont produites par les feuilles, celles de vétiver et de gingembre par les organes souterrains (racines, rhizomes), celles de fenouil et anis par le fruit. En effet, toute la création de ces huiles essentielles part d’un même processus : la Biogénèse aromatique, un processus métabolique végétal. Et, comme tout processus métabolique végétal, celle-ci est produite par un « phénomène primordial et indispensable » : la Photosynthèse. En effet, grâce, et suite, à celle-ci, les végétaux aromatiques élaborent des molécules spécifiques grâce à deux voies de Biogenèse : la voie des Phénylpropanes (composé organique aromatique, qu’on retrouve dans le pétrole) et la voie des Terpènes (classe d'hydrocarbures, produits par de nombreuses plantes, en particulier les conifères. composants majeurs de la résine et de l'essence de térébenthine). Celle-ci est associée à la présence de structures histologiques sécrétrices spécialisées (différentes selon l'organe végétal). Ainsi, selon les différents organes synthétisant les huiles essentielles, on trouvera des canaux sécréteurs, des cellules épidermiques, des poches sécrétrices et des poils sécréteurs périphériques.

Structures histologiques sécrétrices des plantes aromatiques
          
          Cependant, les huiles essentielles sont des mélanges chimiques complexes et variables. Dans leur composition, les terpénoïdes sont en général dominants. Ils se présentent sous forme de carbure, d’alcools, d’aldéhydes, de phénols, de cétones, d’ester et d’éther. Les composés aromatiques sont plus rares mais tout aussi important : ugénol, anéthole, safrole, etc. La composition de ces huiles est variable selon la saison, les conditions de culture de la plante et selon les races chimiques, pour une même espèce.
C’est donc les huiles essentielles qui sont responsables des effluves des plantes.

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II - Extraction d'huile essentielle de lavande

          Afin de prouver la présence de la sécrétion d’huile essentielle par les végétaux, ici par les fleurs de lavande, nous avons procédé à une extraction d’huile essentielle par hydrodistillation (ou entrainement à la vapeur) : 





Réalisation de notre extraction


De l'eau est placée dans le ballon, avec des pierres ponces (qui vont catalyser la réaction) et les fleurs de lavande séchées. Avec la chaleur, l'eau va s'évaporer et se transformer en vapeur d'eau, entraînant avec elle les espèces chimiques odorantes présentes dans la lavande. 


Au contact des surfaces froides du réfrigérant, les vapeurs d’eau et l’essence de lavande gazeuse, se liquéfient et tombent dans l’erlenmeyer. Le distillat est composé de deux phases : l’eau et l’essence de lavande qui surnage. Le distillat a l’odeur de lavande.


          Les plantes sont donc des êtres vivants qui produisent énormément de substances et de molécules odorantes. Avec des techniques chimiques, comme l'hydrodistillation, nous pouvons extraire des végétaux leurs senteurs ... et les manipuler, ou les transporter avec soi.





    Influences des odeurs dans le monde végétal 


       

          Les végétaux sont en constante relation avec leur environnement. C’est en effet une condition indispensable à leur pérennité, car les plantes ont besoin de leur milieu proche pour survivre. Leur environnement leur apporte tout ce dont elles ont besoin : les racines puisent les minéraux dans la terre et dans l’eau ; on assiste souvent à une véritable collaboration entre la plante et les divers organismes extérieurs qui pullulent dans la terre, ou à sa surface.
Et dans ce monde d’interactions multiples et entrecroisées, les odeurs sont reines. Dénoués de tout organe visuel, les végétaux ont très tôt su développer un système de communication infaillible, à travers certaines de leurs glandes, qui produisent des molécules odorantes et volatiles. C’est en effet le moyen le plus rapide, le plus direct et le plus efficace, qui leur a permis de survivre pendant des millions d’années.
En quoi les odeurs émises par les plantes influencent-elles les êtres vivants qui les entourent ? Quelle est la nature de ces influences ?

 
I - Les odeurs, à l'origine de la survie des plantes
      
          Dans le monde des végétaux, les odeurs sont tout simplement indispensables à la survie de l’individu. En effet, bien que la plante puise de nombreux éléments dans la terre, grâce à ses racines, elle ne trouve pas là tout ce dont elle a besoin.

          A commencer par la reproduction. Évidemment indispensable à la survie de l’espèce, le mode de reproduction des plantes est très différent du nôtre. Il existe en effet de nombreux types de végétaux, présentant des organes sexuels différemment agencés.
Nous pouvons identifier deux principaux types de plantes : les angiospermes et les gymnospermes.

 
Angiosperme : Le cerisier
Les angiospermes sont les plantes à fleurs, qui donneront ensuite des fruits. L’ovule est entouré d’un ovaire, lui-même contenu dans le pistil. C’est notamment le cas du rosier, du cerisier, du magnolia …

Gymnosperme : Le pin

Au contraire, les gymnospermes sont les plantes dont l’ovule est à nu, non enclos dans un ovaire, et porté par des pièces foliaires groupées sur un rameau fertile (cône). Les représentants les plus connus de ce sous-embranchement sont les sapins (abies), les séquoias (sequoiadendron), les pins (pinus) ou les cycas. On remarque que la majorité sont des conifères. 

          Les gymnospermes font rarement appel aux insectes, ou à d’autres petits mammifères pour leur reproduction. C’est souvent le vent qui va disperser les grains de pollen, contenus dans le cône mâle, vers les ovules, abritées par le cône femelle. Ce système, appelé anémophilie,  demande une grosse dépense d’énergie de la part de la plante, car cette dernière va devoir produire de grandes quantités de pollen afin d’augmenter ses chances de reproduction. En effet, il n’est pas rare que les grains de pollen n’arrivent pas à bon port. En revanche, les conifères n’ont pas besoin de façonner des structures complexes pour attirer les insectes pollinisateurs.
Ce sont les angiospermes, qui représentent la plus grande majorité des plantes, qui vont avoir recours à la pollinisation pour assurer la survie de leur espèce. Le moyen le plus courant s’appelle l’entomophilie (entomogamie) : ce sont les insectes, à la recherche de pollen ou de nectar, qui vont permettre au pistil de la fleur, l’organe femelle, de se faire féconder.
Ces insectes, comme les abeilles, les papillons ou les diptères, se frottent involontairement aux anthères, la partie terminale des étamines, qui produit et renferme le pollen. Ils récoltent ainsi le précieux butin. Lors d’un autre butinage, certains de ces grains se fixeront au stigmate, puis germeront et atteindront l’ovule, qui se fera féconder.
Le rôle des insectes, bien qu’involontaire, est essentiel.



          Les plantes ont donc rapidement mis en place des moyens afin d’attirer ces précieux collaborateurs. Les fleurs ont des couleurs vives (mais cet argument est contestable, la majorité des insectes ne distinguant qu’une, voire deux couleurs), mais dégagent surtout des odeurs, qui vont attirer les insectes.
Ainsi, l’huile essentielle fabriquée par la plante joue un rôle important : les molécules volatiles vont se déposer sur leurs antennes (voir 2.2) et ces derniers iront butiner cette plante plutôt qu’une autre. On a souvent observé une véritable compétition entre les fleurs, générant des quantités d’huiles essentielles impressionnantes. 

Le nectar va favoriser la venue des papillons et des abeilles : c’est en effet une denrée qu’ils recherchent activement. De plus, si l’endroit propose une quantité de nectar plus importante que l’insecte peut en porter, il reviendra, accompagné d’autres individus de son espèce, augmentant considérablement les chances de reproduction de la plante. L’abeille a même des corbeilles à ses pattes, de véritables organes qui lui ont poussés lors de son évolution, afin de faciliter la récolte de pollen. De même, certains papillons sont dotés d’une trompe qui s’encastre à la perfection avec les types de fleurs les plus visités. Ainsi, c’est comme ci la nature s’était elle-même « spécialisée ».

Enfin, certaines espèces ont adopté des techniques très particulières, qui se révèlent efficaces. Elles ne fabriquent pas de nectar, mais produisent des phéromones sexuelles, qui vont attirer les mâles des espèces. Guidés  par ces « leurres sexuelles », ces derniers se frottent, comme dit précédemment, sur les anthères, récoltant le pollen. C’est le cas de l’orchidée Ophry, qui synthétisent la phéromone sexuelle, qui va attirer les mâles abeilles solitaires des espèces Eucera ou Colletes.  

        

          La plupart des plantes se contentent des minéraux et de l’eau trouvés dans la terre. Mais de nombreuses autres ont un appétit plus prononcé : il s’agit des plantes carnivores. On en entend souvent parler, on en exagère presque toujours la voracité. Mais même si les plantes carnivores ne sont absolument pas capables de digérer une vache, elles sont en revanche capables d’attirer leurs proies à leur insu, ceci en majorité grâce à l’odeur.
Le piège le plus primitif est constitué de pétales, qui forment une urne, aux parois glissantes, qui par un système de couvercle, empêchera les victimes de s’échapper. Certaines espèces, comme la   S.flava, fabriquent du nectar en abondance sur les rebords de leur urne, afin d’attirer par l’odeur leurs insectes favoris.
La dionée possède quand à elle une véritable mâchoire, composée de deux lobes semi-circulaires, la base de ces dernières fonctionnant comme une charnière capable de réagir au contact de la proie. Chaque moitié de feuille a des dents enduites de nectar, qui encore une fois attireront les insectes par l’odeur.
Enfin, il existe des plantes carnivores encore plus vicieuses dans leur stratégie. 

Les dionées

          Prenons le cas de  Nepenthes rafflesiana. Espèce abondante au nord du Bornéo, cette plante carnivore s’est accommodée à son milieu pauvre en piégeant divers insectes. La première particularité de cette plante est qu’elle possède deux types de fleurs sur le même pied. D’abord, des fleurs poussant au raz du sol, en forme d’urnes, ne dégageant pas ou peu d’odeurs, et servant à piéger les insectes terrestres, comme les fourmis. Puis au fur et à mesure de sa croissance, Nepenthes a produit des fleurs se situant au plus haut de sa tige. Ces urnes, dites aériennes, dégagent en revanche une diversité de composés volatils, de dérivés d'acides gras, et surtout des composés benzéniques et des terpènes communément émis par les fleurs à pollinisation généraliste (pollinisés par différents types d'insectes), ainsi qu'une grande quantité de quelques composés rares aux odeurs douces et sucrées. Les insectes sont donc pris au piège par leur odorat : croyant sentir les effluves d’une fleur qu’ils ont l’habitude de butiner, ils sont rapidement piéger par la substance gluante contenue dans l’urne, et sont lentement digérés. 


II - Un moyen de défense efficace


          Nous venons de voir que les odeurs jouent un rôle essentiel dans la reproduction et la recherche de nourriture des plantes. Mais elles ne se limitent pas à ça : les odeurs sont également un formidable moyen de défense, qui permet aux végétaux de se protéger contre leurs nombreux agresseurs.
Les végétaux sont capables de synthétiser des molécules volatiles de défense, appartenant aux métabolites secondaires, qui seront attractives ou répulsives selon la situation. Les plus représentatives sont les terpènes, les tanins et certains alcaloïdes. Par ailleurs, ces défenses végétales peuvent être constitutives (présentes pendant tout le cycle végétal, même en l’absence de lésions) ou induites (synthèse en réponse à la prédation).

          Si la plante produit une molécule qui agit concrètement contre l’agresseur, le système de défense est qualifié de direct.
Lorsqu’une plante est attaquée par un insecte phytophage, venu se nourrir sur ses feuilles, par exemple, le végétal va sécréter une substance toxique pour le prédateur, tuant les individus sur place, et faisant fuir les autres par l’odeur.


C’est le cas de la famille des Brassicaceae (les crucifères comme le chou ou le radis), qui produisent des glucosinolates : les pieds de moutarde brune sont ainsi protégés contre les chenilles légionnaires ; plus la quantité de glucosinolate est grande, moins le nombre d’agressions est important. Les chenilles sont donc « prévenues » par l’odeur. Autre exemple, le thym, qui va émettre son huile essentielle, aux propriétés insecticides, faisant fuir les agresseurs avant même qu’ils se posent sur les feuilles. 

          Les plantes ont souvent recours à une autre solution : au lieu de synthétiser une substance répulsive pour l’ennemi, moyen efficace, mais très gourmant en énergie, les végétaux préfèrent appeler à l’aide. 
En effet, on assiste souvent à une véritable collaboration, qu’on pourrait qualifier de « coup de main », entre la plante attaquée et les insectes environnants. Comment a-t-elle lieu ? Le végétal agressé va émettre une ou plusieurs molécules volatiles, qui attireront les prédateurs naturels des nuisibles : ces derniers seront alors tués par les prédateurs. La plante est donc libérée, et les insectes nourris. Ces derniers assimileront la molécule de détresse du végétal à une source de nourriture garantie, et se fidéliseront à cette dernière.
Les cultivateurs de maïs sont confrontés à un coléoptère ravageur, le Diabrotica virgifera virgifera : ce dernier va en effet pondre ses œufs à l’intérieur même de la plante. Une fois écloses, les larves, phytophages, vont se nourrir pour arriver à maturité.


Les chercheurs ont récemment découvert que le maïs était capable de synthétiser de la caryophyllène, molécule volatile émise au niveau des racines, qui va appâter les nématodes, ennemi mortel des larves Diabrotica. Les vers se nourrissent des larves, et le maïs est sain et sauf.
Encore plus extraordinaire, la  Nicotiana attenuata, espèce proche du tabac, émet un  signal chimique volatile destiné à recruter une punaise appartenant au genre des Geocoris, un prédateur de la chenille Manduca sexta, qui dévore les feuilles de la Nicotiana.

La larve Manduca Sexta et son prédateur la punaise Geocoris

           Or, les chercheurs ont démontré que la synthèse de composés volatiles par la plante n’était souvent pas assez rapide : la punaise arrivait trop tard. Mais c’était sans compter sur la formidable adaptation des végétaux : la production du signal d’alarme est largement supérieure lorsque les feuilles sont en contact avec la salive de la chenille phytophage. Ainsi, c’est la chenille qui cause sa propre perte, et la symbiose Nicotiana-Geocoris est assurée : chacun y trouve son compte !
Une deuxième interaction a été révélée il y a quelques années : certaines espèces réquisitionneraient l’aide … d’une autre plante, de la même espèce ! Il est en effet possible que les plantes communiquent entre elles, via des molécules volatiles odorantes, chacune correspondant à une réaction très précise.
L’acacia sert souvent de repas aux kudus, des mammifères herbivores. Pour se défendre, les arbres ont mis au point un système de coopération : si l’un des individus se fait dévorer par un kudu, il lance une molécule volatile, l’éthylène, qui va exciter la production de tanins chez les autres acacias, rendant leurs tissus indigestibles. Ainsi, les prédateurs vont peu à peu délaisser le « groupement » d’arbres incomestibles, s’attaquant à une autre zone, qui reproduira le système de défense.



       
          Les plantes ne sont donc pas des êtres vivants inertes et dénoués de toute conscience. Bien qu’elles ne possèdent pas de système nerveux, ces dernières semblent ressentir le danger, et s’en protéger. La variété de moyens de défense qu’elles ont développée au fil des siècles est vertigineuse. De plus, elles savent fédérer des insectes auxiliaires, qui les aideront pour la reproduction, ou pour leur défense, tout cela grâce aux odeurs, ce formidable vecteur de communication ...